Quel bruit fait un arbre qui tombe là où personne ne peut l'entendre ?

Publié à 00:42 | par Fabrice Retailleau | dans

Pour comprendre la situation ici, vous devez vous efforcer d'atteindre en esprit les limites extrêmes de vos conceptions de la démocratie. Il n'y a pas de président sur Vénus, pas d'Assemblée, pas de groupes directeurs. Tout est volontaire ; chacun vit pour lui-même, seul, et cependant coopère avec les autres pour que le travail indispensable soit fait.
(Alfred E. Van Vogt, Le monde des Non-A, 1945, traduit de l'anglais par Boris Vian)

La Sémantique Générale, très peu connue en France, l'est surtout grâce à un auteur de science-fiction, passionné par la lecture de Science and Sanity de Korzybski : Alfred E. Van Vogt (Le Monde des Non-A, Les Joueurs du Non-A, La Fin du Non-A), traduit par Boris Vian, qui se fit l'ardent défenseur de la Sémantique Générale, notamment auprès du fameux Collège de Pataphysique. Même si Van Vogt ne développe le thème que très superficiellement et en tant qu'élément scénaristique pour son intrigue, cela aura suffit à intriguer des générations de lecteurs.

Nombreux ceux qui ont été surpris d'apprendre qu'il ne s'agit pas d'une invention d'écrivain, mais d'une réelle discipline fondée aux Etats-Unis dans les années 30 par le comte Alfred Korzybski (1879-1950). Celui-ci, issu d'une famille de mathématiciens et de scientifiques, engrange pendant des années une somme de connaissances psychologiques, psychiatriques, philosophiques et épistémologiques impressionnante, qu'il assimile et articule dans une théorie globale dans son ouvrage fondamental : Science and Sanity : An Introduction to Non-Aristotelian Systems and General Semantics (1933). En 1938, il fonde à Chicago, The Institute of General Semantics.

Le terme « Sémantique Générale » peut prêter à confusion, cette discipline (ou plutôt cette metadiscipline) se rapproche beaucoup plus de l'épistémologie que de la sémantique (d'où mon choix d'employer des majuscules).

La Sémantique Générale est, d'après la définition de Korzybski : une théorie générale d'évaluation non-élémentaliste. Par une approche neurosémantique, elle étudie le rapport que nous entretenons avec le sens que nous attribuons aux mots.Elle s'intéresse en particulier au langage dans la mesure où il structure nos relations en montrant comment le langage, loin d'être un outil neutre, constitue une grille de lecture d'une communauté linguistique, mais aussi comment, au plan individuel, les mots véhiculent le plus souvent une interprétation subjective de la réalité plutôt qu'elle ne la cerne. Elle permet d'enrichir la réflexion et l'action dans les domaines les plus divers : sciences (mathématiques, physique, biologie, astronomie, anthropologie, psychologie…) mais aussi logique, éthique, poésie, littérature…
J'aime assez à penser que la Sémantique Générale est au langage, ce que la relativité générale d'Einstein est à la physique.
Quel bruit fait un arbre qui tombe là où personne ne peut l'entendre ?
Il ne fait aucun bruit, puisque le bruit se définit comme une vibration entendue par les oreilles humaines et animales.

Ouvrages de référence :

Sémantique generale

Publié à 03:11 | par Fabrice Retailleau | dans

La sémantique générale, système de pensée présenté par son auteur comme « non-aristotélicien », a été fondée par Alfred Korzybski après qu'il a pris conscience, au cours de la première guerre mondiale, que les mécanismes de pensée qui avaient provoqué cette guerre reposaient sur les postulats de la logique d'Aristote (principe d'identité, de contradiction et du tiers-exclu) , qui maintenaient l'Occident dans une logique du conflit.

Il formula alors une nouvelle logique, non-aristotélicienne, basée sur de nouveaux postulats, correspondant à l'évolution scientifique du XX° siècle (physique quantique, théorie de la relativité de Einstein). Korzybski en expose les principes, principalement dans son ouvrage majeur Science and Sanity, an introduction to non aristotelian systems and general semantics, dont la première édition paraît en 1933.

Le terme sémantique générale prête à confusion et pourrait faire penser que cette « théorie » se rattache à la seule sémantique. C’est-à-dire à l’étude du « sens » des symboles et expressions. L’ambition de Korzybski dépasse ce cadre symbolique : il s’agit ici de considérer le « sens » de façon opérationnelle, par la façon dont notre organisme réagit à son environnement (y compris lui-même).


Fabrice Retailleau

La sémantique générale englobe certes la sémantique comme cas particulier,
mais s’oriente autant et davantage vers la neurophysiologie, la psychiatrie
ou les théories de la communication.



Introduction à la sémantique générale

Publié à 10:33 | par Fabrice Retailleau | dans

Citations de Hélène Bulla de Villaret

La manière dont nous pensons et celle dont nous nous exprimons sont intimement liées. (Introduction à la sémantique générale, p.15 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Le désordre qui règne [...] dans l'emploi que nous faisons du langage entraîne un désordre correspondant de notre pensée, de notre réflexion. (Introduction à la sémantique générale, p.15 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Une pensée confuse ou incorrecte se répercute et se reflète dans nos modes d'expression. (Introduction à la sémantique générale, p.15 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Les progrès faits par le langage mathématique ont été souvent dus à la démarche suivante: l'on se trouvait devant un problème qui ne pouvait être résolu dans le cadre de références dont l'on disposait. Pour y parvenir il fallait adopter un nouveau cadre plus large que l'ancien. (Introduction à la sémantique générale, p.18 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Une carte n'est pas le territoire: elle donne seulement une représentation de celui-ci à l'aide de symboles, de signes conventionnels. (Introduction à la sémantique générale, p.21 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Une carte ne représente pas tout le territoire: la représentation est schématique, les détails ne sont pas tous indiqués. Une forêt sera ainsi représentée par une tâche verte qui ne montrera pas la disposition des arbres qui la composent. (Introduction à la sémantique générale, p.21 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) Si bonne que soit la carte, le terrain peut toujours réserver des surprises: éboulement, route provisoirement barrée, etc.

Dans la perspective aristotélicienne, le langage était considéré comme le miroir de la réalité. C'était lui attribuer trop de pouvoir, et bon nombre de nos "maux" sont venus de là. Qui dit "miroir", en effet, veut dire "reflet fidèle". (Introduction à la sémantique générale, p.22 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) L'on n'a donc pas su voir toute la distance, toute la différence, qui séparait le donné vécu, observé, de ce que l'on pouvait dire à son sujet.

Nous dirons donc, non plus que le langage est le "miroir" de la réalité mais qu'il représente symboliquement le donné vécu. (Introduction à la sémantique générale, p.22 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

L'homme constitue un tout organique psycho-somatique dans lequel les parts du somatique et du psychique ne doivent plus être indûment séparées car elles sont indissolublement liées. (Introduction à la sémantique générale, p.26 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Le donné vécu, pour être un donné vécu humain, exige la présence d'un humain. Indépendamment de nous "notre monde", "notre réalité" n'existe pas. (Introduction à la sémantique générale, p.27 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Si un arbre tombe dans un endroit où il n'y a personne, quel bruit fait-il? (Introduction à la sémantique générale, p.27 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) L'arbre, en tombant provoque des ondes. Mais pour que celles-ci soient perçues comme un bruit, il faut la présence d'une structure nerveuse, humaine ou animale. Il n'y a pas de bruit s'il n'y a pas de "récepteur" pour le percevoir.

Chacun de nous peut, d'après les reconstitutions qui en ont été faites, "s'imaginer" l'aspect de la Terre à l'époque des grands sauriens. Mais ce que nous imaginons n'a jamais existé, car nous l'imaginons à travers l'expérience que nous permet d'avoir notre structure nerveuse humaine, et cette structure, à l'époque n'existait point encore. Et nous ignorons comment les grands sauriens voyaient "leur" monde. (Introduction à la sémantique générale, p.27 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

En termes de Sémantique générale, nous dirons ici que notre système nerveux fait, à partir de ces composantes [rayons lumineux, vibrations perçues comme un son, ...], une abstraction [...]. (Introduction à la sémantique générale, p.28 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Illusions perceptives: exemple du ventilateur. Lorsqu'il tourne rapidement, ses pales disparaissent et nous voyons à leur place ce qui nous semble être un disque solide. Ce disque n'est pas "réel", il n'est que le résultat d'une intégration faite par notre système nerveux. Il est le produit commun des pales en mouvement et de la puissance d'abstraction de notre système nerveux, produit "incorrect" parce que notre système nerveux n'enregistre que les aspects macroscopiques grossiers et les vitesses lentes, mais non les activités plus fines, ou plus rapides, ou se déroulant à des niveaux plus subtils. (Introduction à la sémantique générale, p.28 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Parmi les différents stimuli qui s'offrent à nous nous opérons un choix et ce choix dépend en partie de nos expériences antérieures. Inconsciemment, nous trouvons dans le terrain, jusqu'à un certain point, ce que, de par ces expériences antérieures, nous sommes amenés à y chercher (Introduction à la sémantique générale, p.29 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

"La fleur est rouge". L'utilisation ici du verbe "être", conduit implicitement à attribuer à l'objet une qualité comme si elle lui était intrinsèque [...]. Nous pouvons donc dire, plus correctement: "la fleur m'apparaît rouge". Nous éviterons ainsi d'attribuer à la fleur quelque chose que la structure nerveuse humaine seule permet de faire intervenir dans la relation qui s'établit entre cette fleur et sa structure. (Introduction à la sémantique générale, p.29 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Tout comme la qualité "rouge", la qualité "égoïste" n'existe pas dans le monde extérieur d'une façon qui soit indépendante de celui qui l'observe, l'éprouve. (Introduction à la sémantique générale, p.32 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Toute acquisition véritable de connaissances repose en effet sur une étude des relations, une recherche de structure. (Introduction à la sémantique générale, p.36 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Dans la vie, de même que dans le domaine scientifique, nous avons affaire à différents événements, à des objets, à des bouts de matériaux petits ou grands. Nous avons l'habitude d'en parler en termes de "matière". Grâce à un dérangement sémantique, appelé identification, nous nous imaginons qu'il existe une "matière" ayant une existence physique séparée - Korzybski (Introduction à la sémantique générale, p.38 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Lorsque nous avons bien assimilé que le mot n'est pas l'objet, nous prenons l'habitude de ne voir en lui qu'un symbole représentant cet objet. Tandis que si nous identifions le mot à l'objet nous avons tendance à réagir au mot comme à un signal, avant de nous préoccuper, voire sans nous préoccuper du tout, de savoir ce qu'est en fait l'objet que ce mot désigne. (Introduction à la sémantique générale, p.40 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Cette réaction au mot comme à un signal et non comme à un symbole vient en bonne partie de la "puissance d'évocation" du mot. Mais celle-ci est liée à des facteurs principalement psychiques: elle découle des émotions qui se sont peu à peu associées au mot au cours de notre développement intellectuel et psychologique. (Introduction à la sémantique générale, p.44 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Un mot entraîne en nous une réaction à un contexte qui n'existe plus mais que nous projetons sur le nouveau contexte offert par la situation présente. (Introduction à la sémantique générale, p.45 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) Cette désorientation doit être éliminée au profit d'une attitude qui considère ce qui se passe ici et maintenant

[...] Quand le verbe être est utilisé pour mettre en relation un nom et un ou plusieurs adjectifs [...] c'est impliquer que les caractéristiques désignées par ces derniers existent dans la chose ou la personne représentée par le nom alors qu'elles découlent de la relation entre l'observateur et l'observé. (Introduction à la sémantique générale, p.45 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Une des clefs de la santé individuelle et collective est l'acquisition de la conscience d'abstraire: être conscient du fait que l'on opère une abstraction, c'est ne pas perdre de vue que l'on ne tient compte que d'une partie seulement des caractéristiques, celles que nous percevons plus aisément que d'autres, qui nous frappent particulièrement, qui sont sélectionnées aussi, en fonction de nos expériences ou connaissances antérieures, de nos goûts, de notre sensibilité, de nos préférences, de nos intérêts, ect., et que l'on en laisse de côté d'autres qui sont souvent des particularités propres à l'individualité de l'objet, et qui, dans certains cas peuvent jouer un rôle que nous n'avions pas soupçonné tout d'abord. (Introduction à la sémantique générale, p.47 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

[...] La perception est en elle-même une expérience inexprimable. [...] Les mots, ne fournissent qu'une indication, un résumé, une image-squelette de l'expérience. (Introduction à la sémantique générale, p.49 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Habitués à jongler avec les niveaux verbaux, nous n'avons, pour la plupart, qu'un contact assez pauvre avec le non-verbal des objets. Nous voyons davantage des images évoquées par des mots que le donné vécu lui-même. (Introduction à la sémantique générale, p.50 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Un mot n'a donc que rarement la même signification pour deux personnes différentes. Nous commettons trop fréquemment l'erreur de croire que le langage va nous permettre Réveiller en autrui des résonances non-verbales correspondant à ce que nous éprouvons nous-mêmes sur nos propres niveaux non-verbaux. (Introduction à la sémantique générale, p.52 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Dans la mesure où les lois des mathématiques s'appliquent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et dans la mesure où elles sont certaines, elles ne s'appliquent pas à la réalité (Albert Einstein) (Introduction à la sémantique générale, p.55 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Attitude non-élémentaliste? Ce sera, pour le médecin, traiter le malade et non point les maladies qu'il peut présenter; pour le pédagogue, s'occuper de l'enfant, et non "d'un élève mauvais en anglais", etc.. (Introduction à la sémantique générale, p.62 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Lorsque nous passons d'un ordre d'abstraction donné à un ordre plus élevé, les éléments abandonnés sur le premier niveau peuvent l'être parce que, au niveau plus élevé, un nouvel élément, ou de nouveaux éléments, sont introduits. (Introduction à la sémantique générale, p.63 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) C'est ainsi, par exemple, que la démarche décisive qui a permis la construction de la géométrie non-euclidienne a été l'abandon du postulat qui voulait que la distance entre deux parallèles soit toujours égale à elle-même; donc, sur le niveau plus élevé, cela correspondait à l'introduction d'un nouveau postulat, formulé ainsi: la distance entre deux parallèles n'est pas forcément toujours la même.

Puisque chaque niveau d'abstraction n'est atteint qu'en laissant de côté une partie des caractéristiques du niveau précédent, on comprend aisément que nos jugements, inférences, évaluations, théories, etc., ne peuvent jamais prétendre à rendre compte de tout ce qui se passe. (Introduction à la sémantique générale, p.64 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Puisque chaque niveau d'abstraction n'est atteint qu'en laissant de côté une partie des caractéristiques du niveau précédent, on comprend aisément que nos jugements, inférences, évaluations, théories, etc., ne peuvent jamais prétendre à rendre compte de tout ce qui se passe. (Introduction à la sémantique générale, p.64 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973) Quand nous réagissons au mot comme à un signal — et non comme à un symbole — nous esquivons le niveau de la description pour sauter d'emblée à celui de l'inférence.

Nous agissons en partant d'une théorie ou d'un jugement préétabli que nous collons à l'expérience sans nous donner la peine de décrire au préalable cette dernière. (Introduction à la sémantique générale, p.65 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Nous agissons en partant d'une théorie ou d'un jugement préétabli que nous collons à l'expérience sans nous donner la peine de décrire au préalable cette dernière. (Introduction à la sémantique générale, p.65 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Au lieu de réagir à la situation actuelle, nous réagissons alors en fait, partiellement, à ce que nous évoquons d'une situation passée ou à ce que nous imaginons d'une situation future. Notre comportement est moins commandé par l'événement que par les échos qu'il éveille en nous, par les idées préconçues, les opinions pré-établies, au travers desquelles nous le considérons. (Introduction à la sémantique générale, p.65 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

Au lieu de vérifier nos abstractions d'ordre supérieur en les confrontant aux niveaux inférieurs, nous manipulons ces derniers pour les faire correspondre aux premières. (Introduction à la sémantique générale, p.65 , Ed. Le Courrier du Livre , 1973)

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